Les enseignants documentalistes : une espèce menacée ?
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Le métier d’enseignant documentaliste est une exception dans le paysage européen. Il est le fruit d’années d’engagement professionnel pour la reconnaissance d’un apport pédagogique spécifique au sein de notre système éducatif.
Bref rappel historique : les CDI étaient à l’origine des bibliothèques gérées par des agents, avant de devenir des services de documentation, puis centres de documentation et d’information (CDI) sous la responsabilité d’un personnel ad hoc travaillant pour un public spécifique (élèves et enseignants).
Grand pas en avant en 1989 : création du Capes de documentation. Le documentaliste est « reconnu » formateur à la maîtrise de l’information. Entre guillemets, car nous attendons toujours la réactualisation de notre circulaire de mission, l’actuelle datant de 1986... (À titre de comparaison, la circulaire de mission qui régit le corps enseignant date de 1997). Mais la question d’une véritable reconnaissance de notre statut et de nos missions est encore une autre bataille, vieille comme... le livre ?
Deuxième grand pas en avant pour la documentation : la création dans les années 2000 de dispositifs pédagogiques dans lesquels la formation à la recherche documentaire (donc de la participation au développement de l’autonomie de l’élève dans l’acquisition des connaissances) trouvait toute sa place : les IDD (Itinéraires de découverte) au collège et les TPE (Travaux Personnels Encadrés) au lycée, remplaçaient les « parcours diversifiés ». Alliant interdisciplinarité (décloisonnement des disciplines), travaux de groupe et productions d’élèves, ils faisaient la part belle à la pédagogie nouvelle (inspirée des travaux de Freinet, entre autres) et à la pédagogie de projet.
Au départ obligatoires, les IDD sont devenus facultatifs (avec le combat contre l’échec scolaire, les dispositifs d’aide individualisée et d’accompagnement éducatif ont pris le dessus dans la répartition des DGH) et les TPE, initialement au programme de 1ère et de terminale, subsistent seulement en 1ère.
1er pas en arrière.
2ème pas en arrière et de taille : le recrutement baisse drastiquement alors même que tous les postes ne sont pas pourvus. Des établissements fonctionnent sans documentalistes certifiés ou avec des enseignants ’’faisant fonction’’ : personnels en reconversion, non détenteurs du concours interne ou sans véritable formation (reconversion = demande de changement de corps ou de discipline), personnels en réadaptation (non aptes à enseigner en raison de grandes difficultés de santé physique, psychologique...).
Concrètement, en 2009 :
• 135 lauréats au Capes externe, 42 pour l’interne alors que la DEP1 a chiffré à 490 les départs en retraite en 2010
• A la rentrée : près de 500 postes de certifiés sont restés vacants (déjà au nombre de 350 à la rentrée 2008)
• dans les académies de Nice, Aix-Marseille et Lyon : ouverture d’établissements sans création de postes d’enseignant documentaliste
• au total : 8445 postes certifiés pour 9500 centres de documentations et d’information (CDI).
Et pourtant, mettre la profession en péril, c’est enrayer l’action des enseignants documentalistes en faveur de l’égalité d’accès à la culture et à l’information. C’est revenir sur des positionnements pédagogiques innovants, qui incluent le développement de compétences et de connaissances informationnelles et transversales chez l’élève ( avec l’éducation aux médias, à l’image, à la santé, à l’environnement et au développement durable … englobées dans l’éducation à la citoyenneté). C’est tout simplement nier l’importance de la contribution de cette profession, pourtant confortée dans le passé, dans ce qui est censé être une des missions premières de l’école : former des citoyens éclairés. Une espèce menacée, elle aussi ?
1 DEP : Direction de l’Evaluation et de la Prospective
2 Demande d’audience de la FADBEN (Fédération des enseignants documentalistes de l’Education nationale) et une intersyndicale (dont SUD éducation) au ministre de l’EN sur la situation des CDI et l’évolution de l’exercice du métier de professeur documentaliste. Paris, le 9 octobre 2009.
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